lundi 17 avril 2023

Les refuges - Jérôme Loubry


Éditions Livre de Poche
8,20€
430 pages


Parce qu'il fait partie des auteurs en pleine ascension dans le monde du polar, je me devais absolument de découvrir un roman de Jérôme Loubry et de me faire mon propre avis sur des intrigues aux résumés très prometteurs.

Et mon premier sentiment, très révélateur avec ce genre de roman, est cette ambivalence entre l'envie de vous en parler durant des lignes et l'incapacité à vous en parler au risque de trop en dévoiler, ce qui immanquablement, vous gâcherait les surprises et les rebondissements divers imaginés par un auteur qui s'amuse à rendre son lecteur fou, le mettant sans cesse face à des murs et face à des voies sans issue l'entraînant à mille lieues de ce qu'il imaginait.

J'ai donc fait le choix de séparer cette chroniques en deux temps en vous proposant tout d'abord une chronique classique destinée à vous faire découvrir ce roman et, ensuite, une "chronique spoilante" dans laquelle je prendrai le temps de vous dévoiler plus en profondeur mon ressenti mais au risque de vous gâcher les découvertes si vous n'avez pas lu le roman.


Dans ce roman, nous découvrons donc Sandrine, une jeune journaliste parisienne fraichement débarquée dans la campagne normande où elle ressent le besoin de faire ses preuves. Car dans les années 1980, le fossé entre Province et Capitale se fait plus sentir encore et Sandrine, doit, de plus, faire valoir qui elle est également parce qu'elle est une femme débarquant dans un milieu plus machiste et ancestral.

Alors qu'elle vient d'interroger un paysan ayant retrouvé les vaches de son champ taguées de croix nazies, la jeune femme reçoit d'un notaire l'annonce du décès de sa grand-mère, une femme qu'elle n'a jamais connue mais dont elle garde une image peu flatteuse, notamment celle d'une femme les ayant abandonnées elle et à sa mère, une femme avec qui elle n'a rien en commun et dont elle ne veut rien savoir. Mais étant héritière de la maison où la vieille femme vivait sur une petite île au large, Sandrine finit par s'y rendre malgré une impression de malêtre constant. Sur l'île, elle fera connaissance avec les derniers habitants qui, tous, lui laisseront une étrange impression. Et le lecteur se sent irrémédiablement lié au destin de Sandrine, s'interrogeant avec elle sur les secrets que renferment l'île.

D'autant qu'en parallèle, le lecteur bascule en 1949 et va suivre Suzanne, la dite grand-mère, à l'heure où l'île semble encore accueillante et pleine de vie. À l'heure où, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, le temps est à la reconstruction et au retour à la vie. Le lecteur va alors découvrir une île prévue pour recevoir des enfants ayant besoin de redevenir des enfants. Mais très vite le lecteur, auprès de Suzanne, comprend que quelque chose cloche et que ce havre de paix n'est peut-être pas si idyllique que ça, que la noyade accidentelle dont tout le monde parle ne serait peut-être qu'une façade...

Très vite, le lecteur se sent donc pris entre deux feux et brûle de connaître la vérité car, déjà, la lecture lui est devenue addictive et plus encore s'il aime quand le présent se mêle au passé en quête de secrets notamment sur les horreurs de la Seconde Guerre. Et il faut dire que l'auteur parvient diablement bien à nous embarquer avec lui sur l'île bien que ce point de départ paraisse relativement classique. Classique, oui, mais toujours aussi efficace...


ATTENTION ! 

À PARTIR D'ICI LA CHRONIQUE DEVIENT SPOILANTE !


La première partie du roman s'achève sur encore plus de questions qu'elle n'a commencé avec, certes, des réponses sur l'horreur survenue sur l'île mais avec surtout de nombreuses interrogations sur les secrets restant encore sur l'île, sur ce qui est arrivé à Suzanne et sur les raisons profondes de l'assassinat des dix enfants, d'ailleurs pourquoi dix ? Et, sans prévenir, à l'aube de la deuxième partie du roman, plus rien de tout ce que le lecteur a déjà lu n'a de sens ni de vérité. Sandrine a été retrouvée sur une plage et l'île ne serait qu'un voyage interne, protection d'un traumatisme vécu. C'est quoi ce délire ?

À partir de là, adieu île mystérieuse, grand-mère étrange et secrets de la Seconde Guerre Mondiale. Tout ne devient qu'illusion, refuge psychique d'une femme ayant perdu pied avec la réalité. Bascule dans la lecture entre un thriller qui se promettait historique et qui, en réalité, va s'annoncer beaucoup plus psychologique et loin de tout ce que le lecteur avait pu imaginer. Il est compréhensible alors que certains lecteurs se sentent déçus et, moi la première, ai eu la désagréable impression d'être bernée. Car si on aime l'être, on aime aussi pouvoir se raccrocher au résumé promis. Étrange paradoxe en effet...

L'enquête va alors davantage ressembler à un classique du genre avec un policier qui va mener une enquête et tenter de découvrir les secrets de Sandrine sans se douter que chaque découverte l'entraînera vers un autre mystère pour plonger de plus en plus profond dans les travers de l'esprit et dans ce que notre subconscient peut avoir de plus complexe. Le lecteur ne sait alors plus à quel saint se vouer, s'interroge sur ce qu'il peut croire ou non. Et si rien de tout cela n'était vrai ? Mais alors où se cache la vérité ?

Grâce à la présente de Véronique, psychiatre attachante, le roman se partage entre le point de vue factuel de l'enquête et le point de vue peut-être plus émotionnel du soin. Les deux se mêlent d'ailleurs habilement et Sandrine, malgré ses travers, ne peut que nous apparaître attachante, guidant notre empathie malgré les zones d'ombres que le lecteur brûle de découvrir.

Car en réalité, tout est dans le titre, "Les refuges". Pas un seul mais plusieurs. Plusieurs protections de l'esprit habilement mêlées pour reconstituer un puzzle que le lecteur averti saura peu à peu déchiffrer. C'est pour ma part une cinquantaine de pages avant le grand final que la vérité m'est apparue dans son ensemble et je dois dire que je reste coite face à un tel enchevêtrement imaginé par l'auteur. D'autant que niveau horreurs, rien ne nous est épargné et l'auteur semble avoir voulu réunir en un seul roman tout ce que l'humanité peut contenir de plus affreux, tout ce qui saura le plus déranger le lecteur.


Alors, certes, ce roman se révèle au final bien différent de ce à quoi on pouvait s'attendre et la frustration de ne pas avoir eu le roman que l'on souhaitait peut être grande. Mais une fois cette frustration passée, on ne peut se dire que "wouahou" et se mettre à réfléchir à nos propres attitudes, à nos propres refuges.

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