Attention : la présente interview remontant à plusieurs années,
certains éléments ne sont plus d'actualité.
Patrice Quelard a accepté de se prêter au jeu des questions-réponses pour le blog. Un grand merci à lui.
- Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs qui ne vous connaissent pas ?
Je suis né en 1972, je
suis auteur de littérature jeunesse, romancier (j’aime pas trop ce
mot, pourtant), et depuis peu, auteur pour le théâtre. « Dans
le civil », je suis avant tout enseignant en école élémentaire
et directeur d’école, métier très exigeant, mais que j’adore
et n’ai pas du tout la tentation de lâcher. Mes deux métiers sont
d’ailleurs assez interconnectés car ma première publication est
tirée du texte d’un spectacle que j’avais écrit pour mes élèves
en 2003, et avec tous les « cobayes » que j’ai sous la
main, je teste régulièrement mes nouveautés en littérature de
jeunesse sur mes élèves, j’observe leurs réactions et cela me
pousse parfois à rectifier le tir.
- Pourquoi avoir fait le choix de l'écriture ?
Je n’ai pas vraiment
« fait le choix » de l’écriture. À l’instar
d’Obélix, je suis un peu tombé dedans quand j’étais petit. Dès
l’école et le collège, ce que l’on appelait à l’époque mes
« rédactions » se distinguaient des autres par leur
longueur et leur contenu. En fait, ça n’a laissé aucun de mes
professeurs successifs indifférent : soit ils m’encourageaient,
soit ça les agaçait. Le hors-sujet était toujours un risque
d’écueil car j’avais du mal à brider mon imagination fertile,
ce qui est toujours vrai aujourd’hui. Je me souviens tout
particulièrement de mon prof de 5ème qui avait marqué
sur une de mes « rédac’ » : « de la
facilité de style, même s’il faut parfois s’en méfier ! »
J’ai commencé à
écrire « pour moi », et pour mes copains, à
l’adolescence, mais j’ai mis beaucoup de temps par la suite à
acquérir assez de rigueur et de méthode pour rédiger véritablement
un livre, et ensuite encore pas mal de temps avant d’oser proposer
un de mes écrits à un éditeur : je ne l’ai fait qu’à 38
ans. Mais comme j’ai eu la chance qu’il soit immédiatement
accepté, cela m’a « boosté » pour finir mon premier
roman. J’ai mis treize ans, avec de nombreuses « pauses »,
à accoucher de celui-ci, et j’ai eu la chance qu’il soit
également remarqué très rapidement. Depuis, je suis vraiment
« lancé », j’ai pris un certain rythme d’écriture.
C’est comme beaucoup de ces choses qui produisent des endorphines
dans votre corps, comme le sport, comme l’amour et comme la bouffe,
même si dans ce dernier cas c’est moins glorieux : plus
j’écris, plus j’ai envie d’écrire !
Ce
qui est certain, c’est que l’écriture a toujours été pour moi
quelque chose de cathartique : cela me permet de me poser, de me
calmer, de me libérer de mes tensions intérieures. Et plus ça va,
plus je le ressens comme une nécessité quasiment quotidienne.
- Quels sont les genres dans lesquels vous aimez écrire ?
Pour la jeunesse, il y a
presque toujours une ambition pédagogique dans mes livres, sans
doute la déformation professionnelle ! Le premier traitait de
l’écologie, le second de l’esclavage et de l’acceptation du
handicap, et celui à paraître traitera également de toutes sortes
de sujets philosophiques, bien qu’à la base il s’agisse d’une
grande fresque d’aventure héroïque (avec une toute petite pointe
de fantasy) mettant en scène deux petites filles aussi différentes
qu’inséparables.
Pour la littérature
adulte, mon genre de prédilection est le roman historique, ce qui
est une conséquence directe de ma passion très prononcée pour
l’histoire. Mon premier roman rentre dans cette catégorie (il se
passe durant la première guerre mondiale), et celui que j’écris
actuellement, qui est d’ailleurs le premier tome d’une saga,
également (il se passe dans le sud de la France au moyen-âge).
L’aventure est aussi bien présente dans mes histoires :
j’aime les rebondissements, les retournements de situation
spectaculaires, j’aime quand il se passe des choses, et que le
lecteur ait peur pour le personnage… peur d’ailleurs souvent
légitime, car personne n’est à l’abri : je ne suis pas un
grand fan des « happy ends » !
Je me suis toutefois
essayé récemment à d’autres genres, avec beaucoup de bonheur
également, car mes références culturelles sont extrêmement
variées : sur le web, j’écris en collaboration, depuis
janvier 2015 (un épisode par semaine), un polar d’aventure et
d’anticipation intitulé « Terramorphos » : j’en
profite pour en faire de la pub, avec d’autant moins de scrupules
que c’est gratuit !
Et puis l’an dernier,
je me suis essayé à la comédie théâtrale avec « La Famille
Adam » qui est une parodie de « la famille Addams »
dans le genre « humour noir trash ». Si tout va bien,
elle devrait être jouée l’hiver prochain. Quoi qu’il en soit,
je me suis éclaté comme un dingue à écrire ce truc, et ça m’a
permis de découvrir que je pouvais, au moins en partie, écrire sur
commande, puisque la demande émanait au départ d’une amie
comédienne qui rêvait de jouer dans une parodie de la famille
Addams.
- Quels sont les thèmes que vous aimez aborder ?
Pour la jeunesse, mes
écrits sont assez atypiques et nécessitent parfois un peu de second
degré, c’est pourquoi ils se destinent tout particulièrement à
la tranche d’âge des plus de 7 ans, que je connais
particulièrement bien par mon métier d’enseignant en élémentaire.
Par exemple, ma première parution, « Antiproblémus veut
sauver la terre », est une fable écologique qui renvoie dos à
dos les habitants de la terre et toutes les bêtises qu’ils font.
J’aime bien sortir des sentiers battus, pousser le lecteur à
réfléchir sur lui-même et sur le monde… et à travers lui, ses
parents également ! Comme mes rédactions quand j’étais
gamin, et comme tout ce qui sort du classique, ce livre a suscité
beaucoup de réactions passionnées, dans un sens ou dans l’autre,
auprès des lecteurs, même si son accueil a tout de même été
globalement très favorable. En ce moment, je travaille également
sur un projet pour expliquer la « réalité » de la
première guerre mondiale aux enfants sans les traumatiser. Là
encore, le parti pris est complètement différent de ce qui se fait
habituellement sur le sujet, et si ce projet voit le jour, cela ne
plaira sans doute pas à tout le monde, mais tant pis !
Sur la forme aussi, je
suis un original : le premier était numérique, le second
numérique, co-écrit avec des élèves et sous-titré en langue des
signes françaises (première œuvre de ce type en France), le
troisième sera une comédie musicale avec des chansons en karaoké à
reprendre par le lecteur !
En littérature adulte,
j’aime aborder le dilemme, le conflit intérieur. Je confesse
volontiers que beaucoup de mes personnages sont un peu tourmentés,
voire torturés, ce qui reflète sans doute un peu mon côté
« écorché vif » (mais je me soigne, hein…)
Les rapports inter
humains sont également au centre de mes écrits. Je ne suis pas un
grand descripteur de paysages, de mobilier et de couleur de
tapisserie (pardon Balzac !), même si le décor est très clair
dans ma tête au moment où j’écris. N’ayons pas peur des mots :
les descriptions m’ennuient, et j’ai parfois tendance à les
négliger complètement. Ce qui se passe entre deux personnages ou
plus est vraiment ce qui m’intéresse : leur attitude, leurs
mimiques, leurs réactions, et surtout ce qu’ils se disent, ce
qu’ils ne se disent pas, les silences, ce qu’ils pensent, ce
qu’ils ressentent, leurs intentions avouées ou non... L’écriture
des dialogues est probablement le moment le plus jouissif pour moi,
c’est pourquoi j’en mets généralement beaucoup dans mes romans
et mes histoires, et c’est pourquoi j’ai découvert récemment
que j’adorais écrire pour le théâtre !
La guerre est un thème
qui revient souvent dans mes écrits historiques, d’abord parce que
c’est difficile de trouver une période de l’histoire qui n’ait
pas été émaillée de guerres, et surtout parce que la guerre est
un truc que je ne comprends pas, et que ce que je ne comprends pas
m’intéresse beaucoup ! Une guerre, c’est aussi le lieu de
tous les dépassements, de tous les surpassements : dépassement
de la raison, dépassement de l’horreur, et surpassement de l’être
humain, de ce qu’il peut, normalement, humainement encaisser !
Un thème dramatique par excellence, donc.
La religion est un autre
thème récurrent chez moi, un peu pour les mêmes raisons que la
guerre : je ne comprends pas. Je ne comprends pas ce que les
hommes s’infligent les uns aux autres pour des histoires de
« manières d’adorer Dieu », et là, on n’est même
pas dans le roman historique, on est hélas, dans l’actualité
brûlante.
- Comment travaillez-vous ? Avez-vous des habitudes d'écrivain, Faites-vous des recherches sur les sujets que vous abordez...
Alors, disons qu’il y
en a qui mènent une double-vie avec deux femmes en même temps, moi
je mène une double-vie avec mes deux métiers : directeur
d’école le jour, écrivain la nuit. Ça ne m’empêche pas
d’avoir une vie de famille, même si je dois reconnaître que
parfois elle en pâtit un peu. L’autre chose qui en pâtit, c’est
mon temps de sommeil, même si j’ai appris un peu à réfréner mes
ardeurs car je n’ai plus vingt ans ! Heureusement, il y a les
vacances scolaires qui me permettent d’avancer dans mes projets
d’écriture. La nuit est de toute façon pour moi porteuse
d’inspiration : à quelques rares exceptions près, je n’écris
qu’à partir de vingt-deux heures minimum, et j’ai besoin d’être
seul dans la pièce. J’écris « par crises », je suis
un écrivain compulsif.
Le domaine dans lequel
j’écris souvent, le roman historique, nécessite de se documenter,
bien évidemment, mais j’avoue avoir l’habitude de pousser ce
vice assez loin. J’aime l’authenticité, j’aime me rapprocher
le plus possible des choses telles qu’elles ont été réellement,
et telles qu’elles ont été vécues par les contemporains. Ma
phase de documentation est donc extrêmement longue et fastidieuse,
mais également très excitante car c’est là que l’intrigue se
construit : internet, encyclopédies, lectures d’ouvrages
d’historiens, biographies, lecture de témoignages (pas toujours en
français ! C’est comme ça, et pas à l’école, que j’ai
appris à lire l’anglais couramment !), et éventuellement
visites sur place avec force bombardement photographique. J’aime
que mes personnages de fiction côtoient des personnages réels, cela
nécessite à tout le moins de les connaître un peu. J’aime aussi
replacer des anecdotes historiques savoureuses, et éventuellement
leur donner une explication autre que celle que l’Histoire retient
généralement : c’est passionnant, mais ce n’est pas de
tout repos.
Pour les mêmes raisons,
même si je reste modeste car je n’y étais pas, je n’ai malgré
tout pas l’habitude d’édulcorer mes récits, même lorsqu’on a
affaire à de véritables horreurs. Dans « Destins
fraternels », ma vision de l’attaque de la redoute Schwaben
par la division de l’Ulster le 1er juillet 1916 a été
comparée par des lecteurs à la scène du débarquement dans le film
de Spielberg « Il faut sauver le soldat Ryan ».
Pour les idées, ces
petites coquines ont malheureusement la désagréable habitude de
m’assaillir n’importe quand et n’importe où : la nuit
pendant une insomnie, sous la douche, pendant mon footing, en voiture
en allant au boulot... Après en avoir perdu pas mal de cette
manière, j’ai pris l’habitude de me trimballer presque partout
avec un calepin. À la maison, j’ai un calepin d’idées à
chaque étage. Il va peut-être falloir que je me mette au
dictaphone, car ça ne va pas en s’arrangeant !
Quand j’étais gamin,
comme beaucoup de gens je pense, je me jouais des films avant de
m’endormir. Maintenant, je fais pareil avec mes histoires : je
me rejoue le film de ce que je viens d’écrire, parfois je trouve
une idée, et parfois je l’oublie parce que je ne vais quand même
pas réveiller ma femme en rallumant la lumière pour prendre le
calepin !
- Sinon... qu'aimez-vous lire ? Auriez-vous un livre à conseiller ?
Oula, ce que je lis est
très éclectique ! En ce moment, je suis en train d’essayer
de finir l’œuvre complète des « Conan le Cimmérien »
de Robert E. Howard. Je voulais le faire depuis longtemps car ce sont
des livres cultes, puisque beaucoup de spécialistes considèrent
Howard comme le fondateur de l’Héroic Fantasy, avant même
Tolkien. Eh bien, je suis désolé de dire que j’ai beaucoup de mal
à accrocher. Un peu trop de bonnes vieilles ficelles scénaristiques
et narratives un peu redondantes, et aussi un peu trop de racisme
rampant, et de clichés à base de muscles huilés et de belles
gonzesses potiches et légèrement vêtues à mon goût. Bon, je sais
qu’il faut resituer ça dans le contexte du Texas des années
trente, mais quand même, j’ai du mal !
Sinon, parmi des dizaines
de bouquins que je voudrais conseiller, quelques-uns au pif qui me
viennent à l’esprit : « Le feu » d’Henri
Barbusse, magnifique témoignage avec des vrais morceaux d’argot du
poilu dedans, pour le centenaire de la première guerre mondiale.
« Maus » d’Art Spiegel pour les soixante-dix ans de
l’armistice et de la libération des camps de concentration.
Également pour la BD :
« Putain de guerre ! » et « C’était la
guerre des tranchées », de Tardi, et tout Jean-Pierre Gibrat
qui reste à l’heure actuelle mon auteur de BD préféré.
Dans les plus récents,
le Goncourt de l’an dernier, « Au-revoir là-haut » de
Pierre Lemaître, et la saga du Trône de Fer de George R.R. Martin :
même si vous êtes, comme beaucoup d’entre nous (et moi aussi)
addict à la série télévisée, ces bouquins méritent vraiment
d’être lus car ils développent une intrigue qui s’éloigne
progressivement de celle de la série (enfin, c’est plutôt
l’inverse), et ils contiennent de véritables morceaux de bravoure,
notamment dans les dialogues. Mais attention, lecture assez
exigeante !
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